Léna
Maria

" Léna Maria : les femmes, au cœur du vivant "


De la pointe des cimes à l’œil d’un cheval ou d’un loup, Léna Maria, photographe du tellurique et du sensible, poursuit son exploration des sentiers féministes et libérateurs dans deux sériesLa Voix du Feu et Fauve, à la recherche de l’expérience la plus juste.

Que la couleur explose, qu’une ligne – chemin de crête ou arête montagneuse – la découpe, que les feuillages des arbres, les pelages des bêtes, les os, les bois, la chaleur laiteuse d’un corps, le bleu, l’ocre et le vert, se mélangent. Que les photographies racontent le rythme interne, la song line (les itinéraires chantés des aborigènes australien·nes, ndlr), cachée et visuelle, d’un conte ou d’une épopée. Léna Maria poétise, au sens grec du terme. Elle recrée un monde en commençant par son paysage. « J’ai une connexion aux éléments, à la nature, très intense, l’impression d’avoir un dialogue permanent avec eux. Pour réaliser des images, je dois sentir le terrain, entrer au cœur de la topographie » résume-t-elle. Influencée par les écrits féministes, « Virginia Woolf, Marielle Macé, Chloé Delaume, Annie Ernaux, Monique Wittig et tant d’autres », la photographe cherche, à travers ses images, la juste manière de définir un sentier partagé avec ces femmes qui l’inspirent. Dans la continuité de La Voix du Feu qui revisitait le conte d’Eurydice avec une perspective féministe, Fauve est construite autour de la figure de Kali, déesse hindoue rattachée à la destruction, mais ici, symbole du renouveau et d’affranchissement. En témoignent les fruits écrasés et sanglants, les mâchoires blanchies qui disent les destructions nécessaires aux genèses. L’occasion, aussi, de photographier des femmes connectées au vivant – corps à demi-immergés, ou dos trempés de gouttes – au cœur d’une nouvelle mythologie et des paysages qu’elle dessine. « Dans ces deux séries, il s’agit d’histoires de celles qui refusent de s’enfermer. Elles agissent avec l’intention puissante et la force vive d’aller vers quelque chose qui leur ressemble », conclut Léna Maria.  



Par Hugo Mangin, Fisheye Magazine

Juin 2024

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" Les envolées telluriques de Léna Maria "


À travers sa pratique photographique, Léna Maria fait de la nature un espace poreux, où s’immiscent songes, croyances et aventures. Une œuvre organique à la croisée des sciences et de la poésie.

« Comme un prélude à ma pratique photographique, enfant, je collectionnais des images. Je construisais mes premières expérimentations sous la forme de carnets. J’étais envoutée par le potentiel narratif de la photographie, et je lui donnais un caractère magique », se souvient Léna Maria. Née à Perpignan en 1985, la photographe a grandi entre les Pyrénées et la Méditerranée. Un environnement qui forge son imaginaire, et infuse – encore aujourd’hui – sa pratique artistique. C’est après avoir étudié l’anthropologie et la géographie que l’autrice se tourne vers le médium, forte de son expérience du territoire. « Mes connaissances ont été déterminantes, j’ai appris les postures de décentrement, d’observation, puis la connexion à la matière, à la terre, à toutes ces espèces d’espaces dont parle Perec », précise-t-elle.
Pour Léna Maria, la création d’images est « une exploration, une traversée, une quête méditative, aussi ». Jouant avec les frontières – physiques comme oniriques – elle construit un monde où l’étrange s’invite dans le réel, distille des nuances surréelles, pour mieux relier les différentes fibres du vivant. Une manière pour elle de questionner la temporalité, les êtres, comme le paysage, en représentant un espace hors de tout, arpenté seulement par les éléments, et quelques braves âmes en errance. « Mais tout part du vivant. Qu’importe le support, je peux être embarquée par toutes sortes d’expériences du sensible », ajoute l’autrice.

Des archipels imaginaires

Les corps dénudés, flous, figés dans une transe, les courbes sombres des racines, les rivages ocre et les montagnes dorées composent les clichés de l’artiste. Un ensemble organique où les paysages et leurs arpenteurs se mélangent dans une osmose poétique. Une harmonie qu’elle parvient à créer à l’aide d’une palette de couleurs singulières. « En fonction des sensations que je veux transmettre, je vise des tonalités tantôt crépusculaires et nocturnes, tantôt solaires ou fauves. Avec la couleur, j’explore le côtoiement entre onirisme, magie et mythe. Mes photographies en noir et blanc sont quant à elles souvent réservées aux apparitions : celles d’individu·e·s ou de corps », explique Léna Maria. Un véritable langage qui, au-delà de l’explicite, parvient à insuffler au spectateur les fragments nécessaires à la compréhension de son conte.
Car dans ses séries, nos héritages, nos influences chavirent les uns dans les autres, pour former un univers cosmopolite où les flous demeurent et appellent au rêve. « J’aime la porosité au sens organique du terme, celle des regards, des échelles. Je souhaite susciter un déplacement dans nos représentations en parcourant nos croyances, nos cosmogonies géographiques, nos mythologies personnelles. Celles qui définissent nos relations à l’ici et à l’ailleurs. Mon lieu est un espace vécu au caractère tellurique fort, en connexion avec le monde minéral, végétal et animal. Je crois que j’entends avant tout protéger ce rapport de complicité que j’entretiens avec lui. Il provoque des sensations chez moi, qui finalement restent un peu mystérieuses. Et j’ai besoin de ce mystère-là », complète-t-elle. Nourrie par les écrits d’Orwell, de Tolkien, de Barjavel ou encore de Jules Verne – dont les aventures rythmaient son enfance – comme par les œuvres de Sarah Moon, Harry Gruyaert, Gabrielle Duplantier et Alisa Resnik, Léna Maria capture alors sa propre immersion dans la nature. Une plongée brute et totale dans un territoire sauvage, où l’inconnu imprègne l’atmosphère, où les sens prennent le dessus pour enfin révéler le « caractère sacré, souverain du lieu ». « Nos récits sont comme des sédiments, et l’on peut trouver dans leurs interstices des archipels imaginaires », conclut l’artiste.

Par Lou Tsatsas, Fisheye Magazine

Décembre 2021

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À propos de Blast 


"Confrontée à Blast, ma pensée se perd dans cet univers proustien, monde dans lequel le souvenir ne fixe pas un bonheur ou un malheur vécu, mais le crée à l’instant présent.
Aussi, ma conscience divague dans la photographie pictorialiste d’un Edward Steichen ou d’un Alfred Stieglitz.
Le noir et blanc, son grain et son flou, révèlent immanquablement la nostalgie d’un temps révolu, avec des visages et des corps qui n’appartiennent plus au temps présent. Je pense à l’oeuvre de Marguerite Duras, à la voix de Jeanne Moreau, aux premiers films d’Alain Resnais.
Avec l’écriture de Léna Maria, je voyage dans la photographie japonaise. Je vois défiler les images d’Eikō Hosoe, de Daidō Moriyama, de danse butoh et à l’état préhistorique : l’eau, la pierre, le ciel, le vent.
Des éléments réduits à leur essence.
Je ressens le désastre de la guerre et de la folie humaine, de la vieillesse et de la mort qui rode mais aussi, la présence du corps de la femme, en mouvement, en vie.
Belle.
Dans Blast, il y a Hiroshima mais aussi, Mon amour."

Pascal Ferro, Commissaire d'exposition

Mars 2019


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